Secours Populaire Français

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Rencontre avec Serge Paugam - Jour J

Près de 200 personnes ont répondues présent à l’invitation lancée par la fédération du Finistère du Secours Populaire Français pour cette rencontre avec Serge Paugam, directeur au CNRS et directeur d’études à l'EHESS (voir article), afin de parler et de débattre de la pauvreté, de l’inégalité et des différents types de ruptures sociales dans nos sociétés modernes.

Une réception dans un environnement agréable pour un public varié, composé de bénévoles des différents comités finistériens et autres, d’étudiant(e)s dans le domaine social ainsi que de personnes confrontées à la précarité de par leur activité professionnelle.

C’est donc Bernard Le Lous, secrétaire général du comité de Daoulas, Jean-Paul Morvan, maire de Loperhet, Annie Marin, secrétaire adjointe de la fédération du Finistère et Martine Elies, secrétaire générale de la fédération du Finistère qui ont tour à tour accueilli notre invité et présenté le bilan social 2014 du comité et de la fédération avant de commencer ce séminaire populaire.

 P1110478.jpgBernard Le Lous, Martine Elies, Jean-Paul Morvan, Serge Paugam et Annie Marin

 

Après une présentation claire et captivante de la situation de notre société face à la pauvreté et à l’inégalité croissante, suivie d’un jeu de questions réponses, Serge Paugam a dédicacé son dernier ouvrage lors d'un pot de l’amitié.

Rencontre très enrichissante, permettant de mieux comprendre les personnes que nous accueillons et ainsi adapter ou recadrer nos actions afin de répondre de manière plus satisfaisante à leurs attentes.

Le mot de la fin reviendra à une bénévole: « Une bien belle journée pour la solidarité »

En voici quelques photos.

 

Vous trouverez ci-dessous un compte-rendu du dernier ouvrage de Serge Paugam "L'intégration inégale" trouvé sur lectures.revues.org qui résume les principaux thèmes développés lors de cette rencontre.

 

L’intégration n'est plus assurée, de plus en plus de Français éprouvant le sentiment d’une fragilisation des liens sociaux voire, pour certains, l’expérience d’une rupture partielle ou totale de ces liens. C’est ce que montre cet ouvrage collectif sous la direction de Serge Paugam, qui révèle aussi à quel point les niveaux et les modes d’intégration sont inégalement distribués au sein de la société contemporaine. Il rappelle ainsi le caractère souvent cumulatif des inégalités et la nécessité de prendre en compte l’ensemble des liens sociaux : ceux qui lient l’individu à sa famille (liens de filiation, objets de la 1ère partie), à ses proches choisis (liens de « participation élective », traités dans la 2e partie), au travail (liens de « participation organique », abordés dans la 3e partie) et aux institutions (liens de citoyenneté, évoqués dans la 4e partie).

Les vingt-six études de cas constituant cet opus illustrent son propos central : le caractère fondamentalement inégal de l’intégration. Le choix de ne pas se limiter aux populations susceptibles de connaître des difficultés constitue l’une des forces de ce livre. Une autre originalité est la volonté de lier la question des inégalités et celle de l’intégration, souvent disjointes et renvoyant à des paradigmes et des traditions sociologiques considérées comme opposées : « Les sociologues qui s’inscrivent dans la tradition de l’intégration sont sensibles à la question du lien social, ceux qui étudient les inégalités se fondent généralement sur une théorie de la stratification sociale et donc des divisions sociales. Les uns étudient ce qui fait société et permet la cohésion au-delà des différenciations sociales, tandis que les autres étudient ce qui divise les individus au-delà de leur commune appartenance à la société ».

Afin de démontrer le caractère fondamentalement inégal de l’intégration, l’ouvrage interroge les mutations du système normatif qui encadre ces liens et les obstacles auxquels sont confrontés les différents groupes sociaux pour le respecter. Le livre éclaire ainsi l’inaccessibilité croissante, y compris pour la classe moyenne, du modèle d’intégration de référence, qui repose, depuis les Trente Glorieuses, sur une condition salariale stabilisée et protectrice, le maintien d’une conception traditionnelle du rôle de la famille et une intervention régulatrice de l’État ; de nombreuses franges de la population n’arrivent pas ou plus à s’y conformer. Il met en évidence plusieurs inégalités structurelles à l'origine de ces conflits entre des normes et des réalités.

Ainsi, les inégalités se sont renforcées à la faveur de l’affaiblissement de certains modes d’intégration. Le lien de « participation organique », c’est-à-dire de participation au monde du travail, apparaît comme particulièrement fragilisé et les conditions de travail précarisées, comme le montrent notamment les chapitres consacrés à l’institutionnalisation de la précarité sur les marchés du travail (Nicolas Duvoux), au devenir des licenciés de Moulinex (Manuella Roupnel-Fuentes1) ou à l’efficacité collective et aux formes contrastées d’engagement au sein du secteur de la santé (François-Xavier Schweyer). Constitué en grande partie dans la période des Trente Glorieuses dominée par l’idée de la stabilité de l’emploi dans une « société salariale », au sens de Robert Castel2, ce lien de participation au monde du travail a structuré un mode d’intégration au sein duquel la question était de savoir comment partager les bénéfices. L’effritement de la condition salariale et l’insécurité sociale ont eu des incidences sur les autres types de relations, à commencer par celles de la famille dont les auteurs montrent combien elles sont elles-mêmes créatrices d’inégalités, les membres de la classe ouvrière étant les principales victimes et davantage placés dans des situations de rupture avec les parents encore vivants, le délitement de ce lien variant en fonction de la catégorie socioprofessionnelle et de la position sociale : plus on monte dans la hiérarchie sociale, plus ce lien est fort. Ces inégales intégrations se cumulent avec des effets multiplicateurs, l’accès à certains droits (au logement, au travail…) pouvant par exemple nécessiter une caution ou un soutien familial. Les liens de filiation sont aussi en grande partie affectés par la crise de la société salariale. Plusieurs chapitres analysent leurs fluctuations et les causes de leur fragilisation, dont la mobilité sociale qui, comme le montre Jules Naudet3, entraîne leur rupture ou au contraire leur préservation, selon le contexte culturel. Serge Paugam évoque pour sa part la situation contrastée des parents « sous contrôle », confrontés à l’épreuve de la disqualification parentale, dans une conjoncture marquée par le renforcement des politiques publiques de contrôle des familles populaires analysées par Aurélie Picot et Abdia Touahria-Gaillard. Valentine Trépied montre pour sa part le rôle essentiel des liens familiaux pour les personnes âgées dépendantes en EHPAD mais aussi leur inégale répartition, les résidents des établissements privés à but lucratif étant moins isolés car bénéficiant d’une famille plus élargie et de ressources économiques plus importantes.

Les liens de « participation élective », c’est-à-dire à des proches choisis, sont également porteurs d’inégalités. Les plus à même de bénéficier de réseaux amicaux et affectifs appartiennent aux catégories supérieures, savoir s’entourer étant une capacité inégalement distribuée, comme le montrent Bruno Cousin et Serge Paugam dans leur évocation des déclinaisons de l’entre-soi dans les quartiers des classes supérieures. La vie de couple n’est pas épargnée, comme en attestent les inégalités sociales et économiques devant l’installation : les cérémonies de mariages, étudiées par Florence Maillochon, rendent compte de ces inégalités et des enjeux de moments festifs exprimant la capacité de s’entourer.

La citoyenneté est également profondément affectée, avec une perte de confiance chez les personnes les plus en difficulté, vis-à-vis d’un État ne jouant plus son rôle régulateur et protecteur dans un contexte d’effritement des garanties collectives. Les quartiers cumulant toutes les inégalités confirment, aujourd’hui, cette perte de confiance dans les institutions publiques. Si ces populations délaissées ne peuvent plus compter sur un filet de sécurité étatique, elles se heurtent, en outre, à un problème de reconnaissance publique et à des discriminations, comme le montre par exemple Michel Kokoreff qui, à propos de la dépolitisation des banlieues, souligne combien « l’idéologie de la mixité sociale et de la participation des habitants peine à masquer des dispositifs fort peu démocratiques où la parole des principaux concernés est peu prise en compte » (p. 410-411). Sébastien Bauvet décortique pour sa part la promotion d’un lien de contrôle social, peu propice à la constitution de liens sociaux, dans son analyse des politiques sécuritaires et des implications d’un modèle contemporain de « participation citoyenne », « participation à une vie sociale de plus en plus encadrée par les dispositifs sécuritaires (qui) présente à l’individu un modèle abstrait de quête de reconnaissance, ne l’incitant pas à échanger et constituer du lien, mais à lutter contre un déficit ou un risque » (p. 392). Le traitement politique de certaines catégories de populations, dont les mal-logés étudiés par Pascal Dietrich-Ragon, ou les inégalités face au droit à la santé, traitées par Isabelle Parizot, montrent particulièrement les « ratés de l’intégration citoyenne » tandis que certains dispositifs dont le contrat d’accueil et d’intégration, analysé par Myriam Hachimi Alaoui, sont travaillés par des tensions entre intégration ethnique et intégration civique.

Parler d’intégration sociale suppose donc de « se référer, au moins implicitement, à un horizon commun de cohésion sociale et de valeurs partagées susceptibles de transcender les particularismes culturels et les différenciations sociales » (p. 480). Or, les trois piliers – salarial, familial et étatique- sur lesquels ce modèle reposait durant la période des Trente Glorieuses se sont fissurés et les inégalités sociales se sont renforcées. À cet égard, l’ouvrage propose une typologie compréhensive des différents paliers d'intégration, évoquant ainsi une structuration de la société française en fonction de l’état des liens sociaux mais aussi de l’expérience vécue s’y rapportant. Dans ce modèle d’intégration en paliers, se sentir sur un niveau inférieur conduit à un sentiment de frustration voire à la révolte, suscitée par le souci de ne pas tomber encore plus bas.

L’intégration « assurée » constitue un premier palier, qui correspond peu ou prou à l’idéal républicain ; les quatre types de liens sociaux y sont parfaitement entrecroisés et assurent la possibilité de bénéficier d’une protection forte et d’une pleine reconnaissance. L’expérience vécue est celle de la distinction. Ce palier est atteint essentiellement par les catégories supérieures et une partie des classes moyennes, même s’il existe au sein cette population des luttes d’intégration et de prestige. Comme le souligne Florencia Luci, à propos des « conditions conjugales et relationnelles de réussite de la carrière des managers » marquées par la maîtrise d’un dense réseau relationnel et par une division sexuelle du travail familial, « une carrière de direction réussie exige une forme d’intégration caractérisée par un entrecroisement très fort du lien de participation élective et du lien de participation organique. Ces deux types de liens se renforcent mutuellement. » (p. 189)

Un deuxième palier, d’intégration « fragilisée », est marqué par des liens sociaux affaiblis, essentiellement par la précarité du travail et ses effets délétères. L’ouvrage éclaire ainsi l’expérience vécue de la frustration de personnes mal intégrés dans le monde du travail voyant leur situation se fragiliser dans les autres domaines ou confrontées aux risque de déclassement et de disqualification sociale. « Lorsque les individus ont intériorisé les normes qui sous-tendent le modèle d’intégration de référence de la société dans laquelle ils vivent et qu’ils continuent de vivre, en dépit de leurs efforts, dans des conditions précaires, ils peuvent éprouver un sentiment de frustration. » (p. 499) D’autres facteurs explicatifs peuvent aussi être cités : la fragilité des solidarités intergénérationnelles ou les attentes à l’égard du système éducatif, évoquées par Ingrid Tucci à propos des trajectoires scolaires de descendants immigrés.

Un troisième palier, dit d’intégration « compensée », se caractérise par la rupture de plusieurs types de liens (notamment ceux du travail, situations de discrimination) et le bricolage d’attaches en dehors du modèle dominant d’intégration. L’expérience vécue est celle de la résistance par la famille et/ou par l’inscription dans des collectifs : communautés ethniques et religieuses, à l’instar de l’église évangélique africaine étudiée par Lina Haapajärvi, bandes de jeunes décrites par Marwan Mohammed, participation à certaines formes de « bizness » dans les cités, analysée par Anaïs Van Sull…

Enfin, au dernier palier d’intégration « marginalisée », les ruptures se cumulent et révèlent une situation de survie au quotidien avec la nécessité paradoxale de trouver sa place dans un monde dont on est exclu, à l’instar des sans-abris ou des jeunes sans emploi. Plusieurs chapitres abordent ces situations limites, les facteurs explicatifs et les stratégies de reconstruction de soi possibles. Marie Loison-Leruste aborde ainsi les attitudes des riverains à l’égard des SDF, soulignant la difficile cohabitation entre inclus et exclus. Jean-Marie Firdion et Maryse Marpsat analysent l’importance et l’ambivalence du lien familial des personnes sans domicile, « entre soutien et obstacle ». Julien Billion montre pour sa part combien l’imagination peut faciliter l’adaptation des jeunes sans domicile à une réalité difficile et exigeante …

Si l’ouvrage propose une grande diversité d’exemples, le poids des enquêtes concernant des zones urbaines ou péri-urbaines masque la société rurale rarement évoquée. Une once de regret pèse par la dimension essentiellement nationale des terrains mobilisés, mais plusieurs chapitres proposent une perspective comparative : étude de « la famille à l’épreuve de la crise » en Europe (Cécile Van de Velde), analyse des effets de la mobilité sociale sur les liens familiaux en Inde, en France et aux États-Unis (Jules Naudet), comparaison du lien de filiation en France et en Norvège (Aurélie Picot, Abdia Touahria-Gaillard), étude sur une église évangélique à Paris et Helsinki (Linda Haapajärvi), analyse de l’organisation du travail et de ses effets sur l’intégration professionnelle en Europe (Antoine Valeyre), enquête sur l’institutionnalisation de la précarité sur le marché du travail en France et aux États-Unis (Nicolas Duvoux), analyse du travail en dehors de l’emploi en Allemagne (Yoann Boget), enquête sur les trajectoires scolaires de descendants d’immigrés en France et en Allemagne (Ingrid Tucci)…

En conclusion, il faut souligner l’intérêt d’un tel ouvrage pointant les inégalités structurelles à l’origine des tensions sociales actuelles et proposant une approche processuelle à rebours d’analyses et de politiques ciblant des populations.

 

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20/03/2015
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